Cette année-là, la saison sèche fut longue. Elle dura plus longtemps que l’année passée, et encore plus que celle d’avant. De mémoire d’homme, on n’avait jamais vu ça. Les greniers se vidaient à vue d’œil, comme si les souris avaient organisé un festin. Les semences furent consommées, on ramassait même le moindre grain tombé par terre. La désolation s’installa de case en case, de village en village, la famine sévit partout.
Téré, sa femme et leur trois enfants âgés de deux à sept ans vivaient dans un petit village au bord du fleuve Oubangui. Les habitants passaient des journées entières dans les champs, le dos courbés, à retourner une terre aride qui ne laissait pousser aucune plante. Ce cours d’eau autrefois si poissonneuse, ne charriait plus que du bois mort, offrant lui aussi le même spectacle de détresse. Toujours rien lorsqu’il tentait une partie de pêche. Il décida alors de s’enfoncer plus profondément dans la forêt à la recherche de quelques feuilles ou plantes comestibles. Bien lui en pris. Il tomba sur des lianes qui enlacèrent ses jambes et faillirent le faire basculer par terre. Avec rage, il tira dessus si fort que la terre dure céda. C’étaient des ignames. Il ramassa tout ce qu’il pouvait en pensant à sa famille. Avant de regagner le village, il alla les laver au bord du fleuve. L’un des tubercules glissa de ses mains et s’enfonça dans l’eau. Téré plongea, attrapa quelque chose, le sorti de l’eau. Il voulut jeter cet objet mais se ravisa, le trouvant jolie comme une flûte, il le secoua pour évacuer l’eau, l’examina attentivement puis souffla dedans. Un mélodieux son en sortait et voilà que des plats de toute sorte s’alignaient devant lui sur la berge, au rythme de la musique qu’il produisait. Poisson, poulet, viande de brousse s’offraient à Téré, fumant et aiguisant son appétit. Il mangea, mangea et mangea à se faire éclater l’estomac ! Enfin repu, il glissa la flûte magique dans sa besace, poussa du pied les ignames dans les eaux tumultueuses de l’Oubangui et rentra chez lui au rythme d’une chanson improvisée pour l’occasion, ponctuée de rots sonores.